Des fleurs pour Algernon
Publié le 17 Avril 2014
Des fleurs pour Algernon
texte de Daniel Keyes, adaptation Gérald Sibleyras
mise en scène d'Anne Kessler
avec Grégory Gadebois
1h20
Théâtre Hebertot
jusqu'au 4 mai
Sur scène, quelques tréteaux et des spots aveuglantes. Il règne une atmosphère de laboratoire de savant à moitié fou. La mise en scène est simple, jouant d’un carnet symbolique, de lumières, de quelques notes de musique et d’une petite chaise bien utilisées, laissant s’épanouir le texte et l’acteur.
Sur la chaise, un homme, tout ce qu'il y a de plus normal. Son histoire est, elle, extraordinaire, sans jamais tomber dans l’invraisemblable. Cet homme « simple d’esprit » a été choisi comme cobaye humain après les premières expériences réalisées sur la souris Algenor, qui doivent permettre de tripler son QI. Comment va-t-il réagir à son intelligence nouvelle ? Sa personnalité va-t-elle en être affectée ?
L’adaptation elle-même est d’une grande intelligence car elle choisit de ne pas se focaliser sur les exploits réalisés par cet esprit exceptionnel - quoique les quelques passages sur le sujet soient particulièrement drôles et réjouissants. Ce qui compte ici, c'est l'humain. L'homme, Charlie Gordon. L'acteur, Gregory Gadebois.
Charlie nous conte son histoire, en devenant lui-même acteur de son parcours. Du "bête" à l'intelligent, il découvre avec candeur ses progrès. Sa perception du monde change peu à peu, tout comme ses relations avec ses habitants. Son caractère, sa personnalité même se transforme progressivement. Se pose alors la question du bonheur, de la conscience du manque, de l’oubli, de la connaissance, et de l’impuissance d’un homme face à son destin en marche. Philosophiquement, la pièce est très riche, mais je n'ai pas l’intention de débattre ici de ses tenants et aboutissants. Plutôt de la manière dont ils sont présentés. La pièce n'apporte pas de réponses, elle n'intellectualise pas : comme dans une conversation, les idées vont et viennent, sous-jacentes. Charlie dialogue. Il dialogue avec lui-même, nous offrant son regard, conscient des changements qui le traversent, sans pour autant les juger. Il dialogue avec les autres personnages, invisibles, avec comme phare et fil rouge la personnalité tendre d’Alice Kinnian. Il dialogue enfin avec le public, il questionne notre regard sur la « simplicité », l’intelligence, les relations sociales. Et le public écoute avec la plus grande attention.
Ce dialogue n'est possible que par la présence de Gregory Gadebois. Nous alpaguant dès le départ, il ne nous lâche plus, jusqu'à la fin, douce-amère comme un au-revoir, qui vous attrape le cœur mais sans vous faire monter les larmes - misérabilisme et pitié ne sont pas admis auprès du battant Charlie. Grégory Gadebois semble se fondre dans Charlie, comme s’il l’avoir écouté et compris. Son jeu est un ouvrage de dentellière. La progression de « la courbe de Gaus de Charlie » est naturelle, sans accroc : on semble être revenu au point de départ, mais les nuances, les éclairs de colère, nous prouvent le contraire. Charlie vit véritablement dans chaque geste, chaque intonation, chaque courbure de Grégory Gadebois. Une telle maîtrise, une telle technique (quel travail sur la voix, ainsi que sur le corps !), mais qui n'enlève rien à l'émotion, qui vous embarque et vous touche au cœur pendant une heure trente, est magistral. L'émotion est grande lorsqu’il quitte la scène, doucement, sans bruit, partant comme il est venu, avec délicatesse, retenue, générosité. Un portrait vivant, honnête et tendre d’un homme vrai, défendu par le corps et l'âme.