Norma Jeane

Publié le 18 Avril 2014

 

Norma Jeane

texte et mise en scène de John Arnold, d'après Joyce Carol Oates

avec John Arnold, Aurélia Arto ou Estelle Chabrolin, Philippe Bérodot, Bruno Boulzaguet,Claude Bourbault, Samuel Churin, Evelyne Fagnen ou Myriam Azencot, Antoine Formica, Jocelyn Lagarrigue ou Joffrey Roggeman, Marion Malenfant, Olivier Peigné, Fabienne Périneau, Maryse Poulhe

2h40

vue au Théâtre 13

 

 

       L’absence même de perruque pour Marion Malenfant et sa crinière toute en blondeur sauvage et naturelle donne immédiatement le ton : John Arnold ne dresse pas le portrait de l’icône, mais bien celui de la femme, une femme duelle, une personnalité complexe. C’est un portrait digne, ample, profond – j’insiste – humain, que propose Arnold.

Norma Jeane, Marylin Monroe. Marylin Monroe, Norma Jeane. Peut-on les dissocier ? La pièce est un puzzle qui semble répondre par la négative. Il n’y a pas de rupture, mais un basculement progressif vers un autre monde, sans que les traumatismes de l'enfance ne puissent être laissés sur le bord de la route vers la gloire. Oui, Marylin est une icône. Oui, elle a fort bien joué son rôle de blonde sur les écrans. Mais en dehors ? Etait-elle seulement la camée, l’alcoolique, l’inculte, la nymphomane si frivole, si attirante, si pulpeuse ? On croit tout savoir des stars parce que leur image reste, éternelle, au Panthéon de la mémoire collective. On oublie de se regarder en train de regarder ces étoiles. Nous façonnons ces étoiles à notre image. Quoi de plus perturbant lorsque c’est justement le regard des autres qui conduit votre vie ? La folie se rapproche à mesure que les tiraillements entre traumatismes d’enfance et idéalisme adolescent, entre amour en public et en privé, isolent peu à peu Marylin. Elle se cache. Finie la petite Norma Jean en chemise de nuit. Bonjour Marylin et ses lunettes de soleil.

 

 

On pourrait croire que Norma Jeane/Marilyn est en représentation permanente. Il y a d’abord la scénographie, ingénieuse et sobre. La symbolique n’en est que plus forte, et la lecture du texte perceptible. Ici, la scène est devenue un véritable plateau, à la fois de cinéma et de théâtre. Il est nu, avec seulement des marquages au sol, comme ceux d’une future scène de crime. Derrière lui, un rideau noir ; à ses côtés, des loges-coulisses aux Spotlight aveuglants ; dans la salle, le metteur en scène. Et au centre, Norma Jeane. L’impression est renforcée par les interventions du metteur en scène John Arnold/du producteur Zanuck. Mettent-ils en scène la vie de Marylin ? Oui, comme tout le monde, puisque ce sont nos regards qui la façonnent. Mais ce qu’ils représentent surtout, c’est cette attirance-répulsion envers la femme au visage de bébé désolé. Ils sont en quête du sens de la vie de Norma Jeane, tente de la comprendre. Norma Jeane s’offre toute entière au regard des autres, avec la plus candide des sincérités : elle veut seulement être aimé. C’est pour cela qu’elle souffre tant : ce besoin d’être aimé, dévorant, est le seul moteur qui conduit sa vie. Il n’y a pas de machiavélisme, pas d’aspiration à la célébrité. Certes, les photos dénudées et les films lui assurent suffisamment de revenus pour qu’elle puisse continuer sa vie sous les projecteurs. Mais elle ignore l’argent en tant que tel : c’est la reconnaissance qu’il lui apporte qui la comble. Marylin reniera tout de ce cinéma qui l’a détruit ; mais sans lui, aurait-elle pu survivre ? Sans le regard des autres ? Elle est inscrite dans une spirale destructrice qui l’entraîne sans fin vers le fond. La preuve en est dans cette scène où entièrement nue, elle s’offre à nous, souriante, aimante, réclamant les regards bienveillants, dans un geste généreux et dépourvu d’intérêt. Elle s’assume enfin et se dévoile totalement, mais elle donne tellement qu’il est impossible de la rembourser, et c’est son âme qui s’échappe peu à peu. Etre entière, c’était effrayer les autres, mais c’était la seule manière d’être elle-même.

 

 

On ne peut comprendre Norma Jeane/Marilyn sans son entourage, car il la définit. Il y a d’abord sa mère, ses parents adoptifs, ses (ex-)maris, ses amis (Keith Chaplin en particulier)… Les scènes avec sa tante sont d'une grande tendresse, et celles avec Miller sont parmi les plus touchantes de la pièce. Elles dévoilent la Marilyn avide de connaissances et de vies à défendre, mais aussi la névrosée, qui ne sait récompenser les gens qu’elle aime que par son corps, offert tout entier. Des apparitions plus symboliques, nous révélent, en quelques répliques à peine, une blessure ou un espoir de l’éphémère Marylin. Ces personnages sont nombreux, si bien qu’on si perd quelquefois. Mais ils laissent tous une trace, plus ou moins grande, plus ou moins drôle. Certains comédiens vont jusqu’à surjouer, mais le monde du cinéma de l'époque ainsi de nouveau transparaît. Il y a, dans chacun de ces personnages toujours, ce rapport avec Marylin, profond et qui ne se distend jamais. C’est une belle preuve d’unité. Chapeau bas à toute la troupe qui fait exister avec autant de générosité ces personnages indispensables. Quant aux dialogues, ils sont un bonheur absolu. Pas de bavardages intempestifs, les mots ont un sens, et ce sens doit se faire entendre le plus naturellement possible. On parle de tout comme dans la vie, à la manière de la vie mais adaptée au théâtre. C’est la force de l’adaptation réalisée par le metteur en scène, dont on ressent l’amour du livre de Oates, son respect de l’auteur comme de l’actrice et sa profonde connaissance du sujet. On pourra discuter de la fin – quoique le personnage de Kennedy, en perdant de son lustre, gagne en intérêt – mais ce n’est pas, à mon sens, le parti-pris le plus intéressant ; la pièce est aussi quelquefois décousue (je pense notamment à la dernière scène avec Jane Russel, qui aurait peut-être pu apparaître plus tôt), mais sans que l’on décroche. Et, bizarrement, si on sait quelquefois que la conversation est un peu trop longue, que pour le théâtre, elle s’essouffle, dans la vraie vie, elle serait ainsi, et chacune apporte une pierre à l’énigme Marilyn. Plus important encore, malgré cette sensation, je ne me suis jamais ennuyée. Deux heures quarante pourtant denses passées en un souffle.

 

 

Que dire de Marion Malenfant, omniprésente, à quelques changements de costume près, pendant ces deux heures quarante ? Elle est irréprochable, soutenant Norma-Marilyn sans jamais faiblir pendant les quatre périodes de sa vie. Elle est déchirante en enfant Jeane, à vous donner envie de vous jeter sur scène pour la consoler. Elle est lumineuse en jeune fille innocente. Elle est effrontée en jeune étoile en devenir, n’ayant peur de rien, sûre de ses convictions, mais aux fêlures qui se révèlent peu à peu. Elle est enfin forte, dure, impitoyable, désabusée, en star minée de l’intérieur. Trente-six années portées par une seule actrice. On ressort ainsi en ayant vu une vie entière passée devant ses yeux : c’est rare, et même un peu perturbant au départ. Le fait de connaître Marilyn Monroe n’est pas la seule raison : c’est la révélation de toutes les fêlures d’une femme à laquelle on s’attache. Parmi ces fêlures, le regard des autres est la plus grande : quel meilleur cadre que le théâtre pour raconter cette vie ? On est pris à témoin – le grand monologue est en cela particulièrement puissant – on se questionne sur notre rôle, sur notre place même de spectateur ici, puis sur le regard des autres et notre regard sur les autres. Je suis sortie exsangue, chamboulée, la tête pleine mais brumeuse. Et j’avais une furieuse envie de revoir Certains l’aiment chaud, pour retrouver, derrière le sourire de la poupée Monroe, la détresse et les espoirs de l’aimante Jeane. Norma Jeane n’est pas une biographie officielle de Marilyn, mais la vision de John Arnold, et c’est ce qui fait son intérêt : j’aime ce théâtre généreux, audacieux mais pas vulgaire, jeune, frais, ample, qui propose, qui questionne, qui prend parti sans formater, qui développe une véritable histoire où chaque élément du théâtre a une symbolique, mais en n’oubliant jamais le spectateur en route. Tout ce que le Théâtre 13 a su m'apporter jusqu'à maintenant.

 

crédits photos de l'article : CrPh Bellamy

crédits photos de l'article : CrPh Bellamy

Rédigé par Captain Mel

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